Les relations entre les camps de Rivesaltes et de Saliers ont été nombreuses et suivies. Nombre d’internés venus d’Argelès-sur-Mer, puis du Barcarès, on été internés à Rivesaltes jusqu’en juillet-novembre 1942 et de là mutés à Saliers. Saliers a vraiment servi de déversoir à la police de Vichy. Le changement de statut de la zone libre qui devient occupée en 1942 y est pour beaucoup.
Il fait partie, avec Lannemezan, des cinq camps ayant accueilli des nomades en zone libre parmi la trentaine de camps en France.
La liste des internés passés de l’un à l’autre serait trop longue à dresser pour nous aujourd’hui, mais on peut dire que l’ESSENTIEL des internés de Saliers provenait de ce camp là.
©Col. Jacqueline Gebest, Centre de documentation du CHRD Ici ce bébé, en 1940, dans les bras de sa mère, entouré de ses frères et soeurs, aujourd’hui âgé de 75 ans, devenu père et grand-père d’une belle et immense famille : c’est Pipo, Jean Sarguera, né dans la baraque 216 de l’ilôt K à l’été 1940, et sa mère, Rosario Sarguera, qui s’échappait du camp pour faire passer les juifs en secret à la frontière espagnole, en échange d’un peu de nourriture pour ses enfants. (Anne-Laure Boyer) |
Historique du camp Joffre, ou Camp d’Hébergement de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales); 1938 – 25 novembre 1942
Le camp Joffre, dit « camp de Rivesaltes », a été fondé en 1938. Il a été construit à 15 kilomètres de Perpignan dans les Pyrénées-Orientales. De 1939 à 2007, ce camp militaire a accueilli diverses structures de regroupement de civils ou de militaires vaincus.
Le 10 décembre 1940, la Défense met à disposition 600 hectares au sud du camp militaire, afin de regrouper les personnes expulsés d’Allemagne, parmi lesquels des Sinti/Roma. La partie militaire du camp fonctionne ensuite parallèlement aux camps civils placés sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et devient un « camp de regroupement familial » pour les Juifs.
La construction est retardée par la vague de froid et de tempête de neige qui s’abat sur la France du 1er au 18 janvier 1941 (-11°c relevés à Montpellier).
Le centre d’hébergement pour prisonniers Espagnols et Juifs étrangers (1941–1942)
Alors même qu’arrivent les premiers internés le 14 janvier 1941, le statut du camp et des hommes qui y sont adressés n’est pas encore fixé. Il est décidé qu’il s’agit d’un « centre d’hébergement » pour familles. D’abord envisagé pour un maximum de 17 000 « hébergés », il aligne 150 grandes baraques d’habitation soit une contenance de 10 000 personnes. La particularité du lieu est d’interner des familles sans les regrouper, mais plutôt en les séparant : il y a des baraques pour les hommes, d’autres pour les femmes et les enfants (les garçons passent d’un camp à l’autre à 14 ans). Alexandre Doulut estime la population totale du camp à 17 443 personnes dont environ 1 500 Nomades et Tsiganes, soit le double de la population du camp de Saliers.
Au 31 mai 1941, le camp compte 6 475 internés de 16 principales ; plus de la moitié sont Espagnols, les Juifs étrangers représentent plus du tiers.
En janvier 1942, des Nomades internés dans le camp de Rivesaltes sont conduits au Barcarès en même temps que d’autres « étrangers ressortissants des pays ennemis ». « Le 25 mars 1942 s’est tenu à l’Hôtel de Russie, [Vichy] sous la Présidence de M. ROMIEU, une conférence en vue d’examiner les conditions dans lesquelles pourraient être réalisé le regroupement en Haute-Camargue de certains nomades dans une région où ils exerceraient les activités professionnelles qui leur sont familières : travaux de vannerie, tissage, etc… [sic]
Cette opération portera en premier lieu sur ceux de ces individus qui sont actuellement hébergés à RIVESALTES. »
Les premiers personnels en date du 16 juin 1942, en provenance du Camp de Rivesaltes, partent pour le camp de Saliers.
Le 15 juillet 1942 tous les internés du camp du Barcarès qui est dissous sont transférés au camp de Rivesaltes.
Les 3 et 21 juillet 1942, arrivent entre 78 hommes internés tsiganes du camp de Rivesaltes à celui de Saliers. Ce sont eux qui construiront les cabanes durant 5 mois. Mals surveillés, 21 d’entre eux s’échappent, dont 3 à deux reprises et 5 rejoignent sans autorisation leur famille à Rivesaltes. 53 y sont encore le 27 novembre 1942, lorsque 299 « nomades » sont transférés du camp de Rivesaltes au camp de Saliers. Il s’agit principalement de leurs femmes et de leurs enfants.
Entre janvier et juillet 1942, 5 nomades des familles Adel, Hoffmann, Reinhardt, Weiss et Winterstein décèdent au camp de Rivesaltes. (Klarsfeld)
Liste de transfert de 35 internés de Rivesaltes à Saliers, 20 juillet 1942 |
En août 1942, l’îlot K est vidé de sa population nomade. Jusqu’à la fin du camp il sera réservé exclusivement aux juifs. Le 26 août 1942 à cinq heures du matin commencent les opérations de ramassage des Juifs étrangers de la zone Sud et leur regroupement au Centre national de rassemblement des Israélites de Rivesaltes. Ce dernier est installé aux îlots J (femmes et enfants), F (hommes ; antérieurement dédié aux travailleurs) et K (réception, criblage et triage). Il est prévu pour un effectif de 10 000 internés composé de familles et une durée de 15 jours. Y sont d’abord regroupés les 1 176 Juifs déjà au centre.
Rivesaltes, vue générale, août 1942. Rapport de l’IGC. AN, F7 15105.
« 21 octobre 1942.
« Je suis désolée que le médecin-chef ne m’autorise pas à m’occuper des petits Tsiganes. Quand je traverse leur îlot, ils accourent pour me dire en alsacien: « Sœur, quand pouvons-nous venir manger chez vous? » Cela me fait chaque fois un coup de cœur, et j’ai honte. Aujourd’hui, le commandant a passé chez nous. Il a vu tous nos Espagnols et m’a demandé si je ne pouvais pas prendre également les 200 petits Tsiganes. J’ai donné mon accord avec joie. Il a mis un réfectoire à ma disposition pour tous les enfants. Cela veut dire qu’il faut déménager et ranger un nouvelle fois. Tout va bien avec les petits Tsiganes aussi. Il faut dire qu’ils sont vraiment une bande sauvage. Le soir je suis souvent aphone à force de crier et je ne peux plus dire mot. On s’amuse beaucoup dans la baraque quand les Tsiganes viennent, le visage et les mains rouges à force de les avoir lavés.» Friedel Bohny-Reiter, infirmière du Cartel de secours aux enfants victimes de la guerre, au camp.
En novembre 1942, après l’invasion de la zone libre (le 11 novembre), les troupes allemandes s’installent au camp Joffre. En conséquence, le centre d’hébergement est liquidé au 25 novembre. À cette date, il comptait 277 membres du personnel. Le 26 novembre 1942, les 299 nomades présents à Rivesaltes sont transférés au camp de Saliers (Bouches-du-Rhône). « Nous ne pouvons donner de liste nominative, les dossiers de ces hébergés n’étant pas encore arrivées au Camp de Saliers. » note le chef du camp de Saliers. Le 28 novembre 1942, arrivée de 6 hébergés venant du Camp de Rivesaltes conduits par les Gendarmes.
« C’est M. Robini Secrétaire gestionnaire qui fait fonction de Chef de Camp. Il connaît son métier car il a été successivement inspecteur à Rivesaltes […] » Rapport de Robert Milliat du 5 février 1944.
Ordre préfectoral de fermeture du Camp de Rivesaltes |
Parmi les internés du camp de Saliers passé par le camp de Rivesaltes on dénombre:
Marie Bargas
Charles Belloni, interné le 14 décembre 1941, transféré sur le camp de Saliers en 1942
Léon Belloni, interné le 22 septembre 1942, dirigé sur le camp de Saliers le 8 octobre 1942
Louise Belloni, ilôt A, internée le 22 septembre 1942
Antoinette Campos, internée le 17 mars 1942
Germaine Campos Moreno, internée le 17 mars 1942
Jean-Joseph Campos, interné le 17 mars 1942
Pascal Campos, interné le 17 mars 1942
Conception Castro
Angèle Chardelain, internée le 9 août 1942, évadée
Antoinette Charles
Fanny Charles
Joseph Charles
Marie Charles
Léa Chevalier, internée le 19 juillet 1942, évadée le 2 septembre 1942
Alexandre Demeter, interné le 20 juin 1941
Henri Demeter, interné le 20 juin 1941
Paul Demeter, interné le 20 juin 1941
Dica Demetrio, internée le 13 novembre 1941
Francisco Demetrio, interné le 13 novembre 1941
Joseph Demetrio, interné le 24 août 1941, dossier n° 12154-13895 rayés>15045, évadé le 10 novembre 1941, retour d’évasion le 2 mars 1942, ilot Q, transféré le 9 mars 1942 au camp de Barcarès., retour le 7 juillet 1942, au camp de Rivesaltes, ilôt KH, transféré le 20 juillet 1942 au camp de Saliers
Pierre Demetrio, interné le 13 novembre 1941
Roger Demetrio, interné le 13 novembre 1941: « Nous étions à Moulins dans l’Alliers lorsque nous avons été arrêtés pour la première fois. Ils nous ont alors assignés à résidence en Corrèze. A l’époque nous avions des roulottes avec des chevaux. Et puis un jour, ils sont venus nous chercher et nous ont mis dans les camps de concentration. On a dû laisser nos roulottes et nos chevaux là-bas et on ne les a jamais récupérés. Ils nous ont pas expliqué pourquoi on allait dans ces camps. Ils nous ont d’abord emmenés à Rivesaltes. Il y avait toute ma famille – les Schaenotz et les Demetrio – qui était dans ce camp. Nous sommes restés quelques mois et puis, avec quelques-uns nous nous sommes échappés. Nous sommes partis à Valence dans l’Ardèche. Seule ma grand-mère est restée à Rivesaltes. Elle y décédera peu de temps après. »
Antonia Diaz
Pilar Diaz
Georges Dorkeld, évadé le 15 décembre 1941
Marie Madeleine Dorkeld, transférée le 4 septembre 1942, dossier 15.923, avec sa fille Reine, évadée
Clotilde Dourlet
Jean « Fassette » Dourlet, interné le 19 juillet 1942
Jean-Jacques Dourlet, interné le 19 juillet 1942
Louise « Lapin » Dourlet, internée le 19 juillet 1942, transférée au camp de Saliers le 27 novembre 1942. « Je m’appelle Louise Dourlet et j’étais à Issoudun dans l’Indre quand on a été arrêtés pour être conduits au camp. Nous avons tout laissé sur place: les chevaux, la roulotte, la vaisselle, etc… Nous avons été d’abord à Rivesaltes. Dans ce camp on n’avait pas de nourriture. C’était dur parce qu’on était jeunes et qu’on avait besoin de manger. »
Gervaise Dubois
Mathilde Dubois
Angélique Duville, née Wintersheim
Jean-Baptiste Duvil, « En compagnie de ma femme et de trois de mes enfants, j’ai quitté le camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), où j’étais interné depuis le mois de juillet dernier. Nous avons quittés le camp le 13 août courant en direction de Limoges où nous sommes arrivés le 16. Le trajet a été effectué à pied et par le chemin de fer. Nous avons quitté le camp car nous y étions réellement mal nourris et mes trois enfants sont devenus dans un état squelettique. La direction du camp a conservé tous nos papiers, y compris nos carnets anthropométriques et collectifs »
Caroline Duville, évadée
Emile Duville
Joseph Duville
Léonie Duville
Louis Duville
Louise-Marie Duville
Simone Duville
Joséphine Florès
Lucien Fourmann, interné le 9 août 1942, dossier 15556; motif : nomade ; évadé.
Jean-Baptiste Furman, évadé
Claire Gimenez
François Gimenez
Joseph Gimenez
Hélène Demestre, alias Vorochana Gorgan
Adolphe Graff, interné du 11 février au 25 novembre 1942
Alberte Graff, internée du 11 février au 25 novembre 1942
Emilienne Graff, internée du 11 février au 25 novembre 1942
Georges Graff, interné du 11 février au 25 novembre 1942
Joseph Graff, interné du 11 février au 3 juillet 1942
Maria Graff, internée du 11 février au 25 novembre 1942
Marie-Louise Graff, internée du 11 février au 25 novembre 1942
Rosalie Graff, internée du 11 février au 25 novembre 1942
Eugénie Heiss, internée le 4 mars 1942, dossier 13906, ilôt K; motif : ex-évadé du camp de Rivesaltes, retour par assistante sociale Montpellier.
Louise Heiss
Catherine Herter
Jeanne Hoerter
Thérèse Hikel
Aloyse Hoffmann
Alphonse Hoffmann
Anne Hoffmann
Charles-Louis Hoffmann
Ernestine Hoffmann, «Nous sommes allés peu de temps après au camp de Rivesaltes avec toute la famille. Mon mari a été réquisitionné par les Allemands pour aller au travail forcé. Il travaillait dans une mine. Et puis, il s’est échappé du lieu où on le faisait travailler et il est retourné à Lyon. Quand je l’ai appris par des manouches qui venaient d’arriver au camp, je me suis échappée du camp de Rivesaltes avec mes deux enfants et nous sommes allés à Lyon. Là, nous avons vécu dans un appartement pendant pas mal de temps. Nous étions rassemblés avec d’autres Manouches dans un même quartier. »
François Hoffmann
Jacques Hoffmann
Jean Hoffmann
Marcel Hoffmann
Marie Hoffmann, née Reinhardt
Odile Hoffmann
Pauline Hoffmann
Thérèse Hoffmann, évadée
Joséphine Hornberger, évadée en novembre 1942
Michel Hornberger
Pauline Hornberger, née Stephan
Rose Kempfer
Albert Kraemer, évadé
Charlotte Kraemer, évadée
Joseph-Albert Kraemer, évadé
Rosa Kraemer, évadée
François Lacroix
Elise Lafleur
Joseph Lafleur, convoi du 21 juillet 1942 pour Saliers
Marie Lautrec, née Lieballe
Alexandre Lieballe
Antoine Loeffler
Caroline Loeffler-Weiss
Jacques Loeffler
Joséphine Loeffler
Louis Loeffler
Michel Loeffler
Nicolas Loeffler
Odile Loeffler
Antoine Lopez
Charles Lopez
Fernande Lopez
Joseph Lopez
Louis Lopez
Mathilde Lopez
Paul Lopez
Raymond Lopez
Richard Lopez
Yvonne Lopez
Pierrette Meinard
Nicols Meinhardt
Joséphine Moreno
Jeanne Reinard
Léonie Reinhardt
Rose Dubois, née Ritz
Nation Rivière, interné le 22 septembre 1942
Henri Romain, « Solès », le 27 septembre 1942
Alexis Schaenotz
Paul Schaenotz
Marie Vitchiner, décédée en internement
Catherine Weiss, internée le 30 septembre 1942, nature de l’internement : Nomade.
Fernand Weiss, interné le 11 février 1942
Joséphine Weiss, internée le 30 septembre 1942
Laurent Weiss, interné le 30 septembre 1942
Léon Weiss, interne le 30 septembre 1942
Louis Weiss, interné le 30 septembre 1942
Pierre Weiss
Séraphin Weiss, interné le 11 février 1942
Victor Weiss, interné le 11 février 1942
Victor-Paul Weiss, interné le 11 février 1942
François Wetter
Maria Yankowitch, née Papadopoulos
Durant deux années, le camp de Rivesaltes a interné environ 21 000 personnes, dont environ 5 714 au camp spécial, 2 313 ont rejoint le camp de Drancy, 2 251 ont été exclues par la commission de criblage. Sur le site sont décédés 215 internés, dont 51 enfants d’un an et moins. |
AD13, 142 W 76, Compte-rendu de la réunion du 25 mars 1942 à Vichy.
Filhol-Hubert, Les Tsiganes en France, un sort à part 1939-1946. pp. 114-115
Serge Klarsfeld, Mémorial de la déportation des Juifs de France. FFDJF, pp. 29-32, 37, 41.
Friedel Bohny-Reiter, Journal de Rivesaltes 1941-1942, traduit de l’allemand par Michèle Fleury-Seegmüller, Éditions Zoé, Carouge-Genève, 1993. p. 122 (ISBN 2-88182-189-8)]