Discours de Gigi Bonin, président du MNF, prononcé lors de l’inauguration le 14 novembre 2024:
Latcho divès tumengue.
Bonjour à tous.
“L’éducation a des racines amères, mais donne des fruits doux.” disait ce vieil Aristote.
C’est exactement de cela qu’il s’agit aujourd’hui: d’éducation, de citoyenneté.
Cette table d’orientation est le fruit de l’engagements de professeurs en lycées techniques de la banlieue de Bordeaux –Lycées Charles Péguy (Eysines) Léonard de Vinci (Blanquefort) et Marcel Dassault (Mérignac) – et de deux années de travail de leurs élèves. Remercions chaleureusement ces jeunes femmes et jeunes hommes pour cette réalisation.
A l’heure où l’on continue d’invisibiliser dans les territoires les citoyens itinérants, cette table permet enfin de re-situer dans l’espace urbain contemporain le centre majeur d’internement de diverses populations (Nomades et Forains, étrangers indésirables, Juifs, droits communs, etc.), inauguré le 17 novembre 1940 sur la base d’une sélection ethnique de 330 personnes dites Nomades et Forains, des voyageurs et voyageuses d’origines Jenish, Kalé, Rom, Sinté et même parfois des commis Gadjé.
Ethnique, car ces personnes jusqu’alors désignées comme Bohémiens, Romanichels, etc. ont été catégorisées administrativement comme Nomades et Forains lors des débats parlementaires aboutissant à la loi du 16 juillet 1912 ; ce à fin de ne pas être en contradiction avec l’article 3 de la Constitution du 24 juin 1793 : “Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.”
Ethnique, car suite à la loi du 6 avril 1940, d’assignation à résidence de ces populations, toutes les polices de Gironde ont procédé avec empressement dès le mois de mai 1940 à un vaste recensement et à une fixation des familles de Voyageurs.
Quels sont les motifs de sélection des familles internées ici ? On a parlé d’espionnage, car elles parlaient des langues étrangères…
On a évoqué la criminalité. Notre travail de recherches aux Archives Départementales de la Gironde, dans les fonds compris entre 1912 et 1940, indiquent qu’environ 0,001% des condamnations des tribunaux civils et correctionnels concernent des Voyageurs. En réalité il s’agit à plus de 99% de défauts de visas, de vaccination, de photographies sur les carnets anthropométriques, et d’absence de plaque de contrôle spéciale, marque infamante des véhicules. Cette supposée criminalité émane donc d’une volonté permanente et systémique depuis 1912 de criminalisation de ces populations par l’État. (Bien sûr, il y a toujours une famille pas très maline qui se fait régulièrement prendre au même endroit pour le même motif, justifiant ainsi l’opprobre imposé à l’ensemble des citoyens itinérants, bref…)
Lorsque l’ordre allemand d’internement des Zigeuner est décrété en octobre 1940, la police française l’exécute avec zèle. Les familles arrivent sur un terrain nu (il reste deux baraques impraticables) avec ou sans leurs roulottes où le capitaine du camp et son adjoint on installé leur Q.G. dans un car de la gendarmerie. Ils vont êtres soumis à construire leur camp avant d’être scindés en 2 groupes et transférés vers les camps de La Morellerie et de Poitiers… De là, certains seront transférés vers d’autres lieux d’internements, soumis à du travail forcé, spoliés, victimes de ventes forcés, affamés, battus, violées, etc. 27 seront déportées en Allemagne depuis le camp de Poitiers en 1943, en deux convois. Sept d’entre eux perdront la vie durant le conflit de 1939-1946. Car c’est le 1er juin 1946 que seront “libérés” les derniers Nomades et Forains du camp des Alliers-Angoulème. Dès 1949, un recensement national des Nomades est effectué. On envisage à Bordeaux la création d’un “camp de gitans”. Ce sera le terrain des Arnelles. La politique d’encampement n’a jamais cessé. L’égalité en droits des citoyens français n’est pas respecté par le déni du droit au logement pour l’habitat caravane. La criminalisation des populations itinérantes se poursuit au rythme des P.P.L. soumises au Sénat par les groupes Républicains, R.N., Horizons, et macronistes, dans l’indifférence générale. Voilà la situation du monde du voyage aujourd’hui et cela doit changer.
Nous exigeons donc que l’habitat caravane soit reconnu comme logement et nous ouvre les droits afférents (travail, éducation, santé…)
Nous demandons au premier ministre qu’une commission d’étude soit créée en vue d’une reconnaissance par l’Assemblée Nationale des persécutions exercées par l’État contre les populations itinérantes en France durant les deux conflits majeurs du XXe siècle, avec des réparations à la clef !
Nous allons maintenant procéder à la lecture des noms des personnes décédées :
Pierre FLORÈS-CAMPOS. Interné suite à non présentation de son carnet anthropométrique en avril 1940. Décédé en mars 1945 lors de l’évacuation du KL Bergen-Belsen (Allemagne), ou entre décembre 1945 et juillet 1946, avis de la mairie de Castelnau-Médoc, jugement du Tribunal de Première Instance de Bordeaux du 19/12/1947, reconnu comme décédé par jugement tribunal de Bordeaux le 30 janvier 1948.
Marie FAILLÈRES, arrêtée à Blaye, décédée au Centre de Séjour Surveillé de Poitiers (Vienne) le 15/01/1942, âgée de 41 ans.
Georges REINHARD, vannier, décédé d’une néphrite au KL Sachsenhausen-Oranienburg (Allemagne) le 14/07/1943, matricule 58433, à l’âge de 31 ans.
Michel REINHARD, arrêté à Libourne, décédé de la tuberculose au KL Sachsenhausen-Oranienburg (Allemagne) 20 avril 1944, matricule 58391 à l’âge de 19 ans.
Nicolas REINHARDT, arrêté à Libourne, décédé au KL Sachsenhausen le 06 décembre 1943, matricule 58384, à l’âge de 29 ans
Georges WINTERSTHEIM, artiste français, arrêté à Libourne, décédé au KL Oranienburg-Sachsenhausen (Allemagne) après le 16 mai 1943 à l’âge de 32 ans.
Jean, Ulysse, ZIEGLER, soldat au Parc Aérostation 91 153, secteur postal 61 en décembre 1939 ; arrêté à Blaye, décédé au camp de Nomades de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) le 15/10/1942 à l’âge de 30 ans.
N’oublions pas leurs noms.
Na bisterdom tumare anava !
Notice sur le camp de Mérignac
Exposition des archives municipales de Mérignac aux Archives Départementales de Gironde