Le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer en temps de guerre

Initié dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de manière épisodique, le pèlerinage à Sara est interdit par la préfecture des Bouches-du-Rhône de 1895 à 1898, suite au grand recensement des Bohémiens du 20 mars 1895. Les grandes familles Baptiste ou Gorgan y sont déjà présentes. Depuis le début les histoires des Saintes sont au mieux un tissu de légendes et de mythes. Concernant Sara c’est encore un peu plus vrai : il n’existe pas d’image primitive de Sara, le puit sacré est en fait une captation du ruissellement des eaux souterraines du XV e siècle, la crypte actuelle a été creusée en 1349 par deux tailleurs de pierre arlésiens, François Passavent et Pecoronus Bali sur commande d’une dame Blanquette veuve Palhade et modifiée 100 ans après ; au XVIIIe siècle on retrouve des ossements qu’on s’empresse de lui attribuer. En 1923, lorsque l’église se préoccupe de faire reconnaître ses cultes elle ne comprend pas Sara. La sainte n’étant sainte que pour ceux qui veulent y croire, l’église refuse d’autoriser la procession et la présence des gitanes et voyageurs jusqu’en 1935 où Folco de Baroncelli obtient de l’archidiocèse d’Aix-Arles cette permission. Elle s’est depuis tenue sans interruption sauf en 1943 sur ordre de la Feldkommandantur nazie semble-t-il.

24 mai 1935.

Première procession de Sara. Notre « ami » le très poète et un peu marquis Folco de Baroncelli-Javon, homme issu d’un famille noble florentine « imaginait que les Atlantes fuyant sur leur navire, – les uns vers l’ouest où ils auraient été les ancêtres des [Amérindiens] –, les autres vers l’est, entrant en Méditerranée et prenant terre en Camargue des millénaires avant que s’y instaura le culte de Sara la Noire. Il ne restait plus qu’à présenter les Tsiganes comme des êtres extra-terrestres, tombés de quelque planète sur la Terre pour y devenir les Fils du Vent. » [Vaux De Folletier, p. 25. Il est à noter que les interprétation de cet ami des tsiganes servira largement la propagande de Vichy, pour justifier de leur présence immémoriale en Camargue parmi les arguments de la construction du camp de concentration de Saliers, sur la commune d’Arles.]

19 mai 1941

Des familles nomades de Sylvéréal sollicitent « l’autorisation à titre exceptionnel, de se rendre aux fêtes annuelles des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône) qui doivent avoir lieu les 25, 26 et 27 mai.

« Malgré les difficultés sans nombre qui s’opposaient à la traditionnelle migration des Gitans, plus de 900 d’entre eux avaient cheminé jusqu’aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour le pèlerinage du 24 mai » Note la très collaboratrice Revue d’Arles n°4, juin 1941, p. 115-117 « A l’honneur de Sara la Brune » avec un poème du Marquis de Baroncelli. Salut aux couleurs avec le sous-préfet.

Le sous-préfet d’Arles en question n’est autre que Jean des Vallières, neveu de Pétain, ayant échappé de justesse à la peine de mort à la Libération pour faits aggravés de Collaboration avec l’ennemi. Ce dernier note, sans manifester le moindre repentir, dans le livre qu’il commis sur Baroncelli en 1956 :

Les vêpres du 24 mai ont déjà rempli l’église de religieux et de fidèles , quand les ribambelles dépenaillés qui l’envahissent – à qui mieux lestées de saucissons et de litres de rouge pour s’occuper jusqu’à l’ouverture du panneau, tout en haut de la nef, d’où le grand coffre, bardé de fer, qui contient les restes de Marie-Jacobé et de Marie-Salomé va lentement descendre au moyen d’un treuil.

Sa manœuvre est une des prérogatives des chefs nomades qui, maîtres absolus des combles, enguirlandent de bouquets les câbles qu’ils déroulent et couvrent le chant du Magnificat par des cris sauvages.

Pire tumulte encore en bas, devant l’autel embrasé par des buissons de cierges. Persuadées que les premiers à toucher les châsses seront guéris de tous leurs maux, des harpailles en transes prennent d’assaut le chœur et c’est à qui y grimpera sur le dos des autres. Des scrofuleux, des vieillards, des gamins infirmes qu’on porte sur des chaises, des mères élevant à bout de bras leurs enfants rachitiques, s’escaladent et se bousculent avec une telle violence que le clergé, parfois, doit s’armer de bâtons pour y mettre bon ordre.

26 mai 1942

Le Petit Marseillais. « Deux mille croyants et gitans ont assisté à la bénédiction de la mer ».

L’Action Française: titre « Le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer

« En cette journée de mai où le vent a fini par chasser les menaces, d’un temps de grisaille, les gitans sont encore venus nombreux avec leurs pittoresques équipages et malgré les difficultés du voyage. Dès le matin la nef unique de la nef médiévale est pleine à craquer, gitanes et gitans ont envahit la cripte [sic] de Sainte Sarah [re-sic] où n’entrent guère les pèlerins à peau blanche. Les cérémonies sont présidées par Mgr Florent de la Villerabel archevèque d’Aix-en-Provence. […]

Dans la crypte de Sainte Sarah [re-re-sic] les gitanes font baiser les reliques par leurs fillettes, à tignasse noire et peau de couleur de pain d’épices. Sur des cordes, ont aperçoit à la lueur des cierges qui brûlent mal, les hardes que les Bohémiens ont suspendues pour que le séjour dans ce lieu sacré assure à leurs possesseurs une vertu de préservation dans ce monde, une promesse de salut dans l’autre. »

mais pour La Revue d’Arles les obstacles se multiplient, privés de « guimbardes et roulottes » et arrivés en train, ils sont contraints d’organiser des campements de toile autour de la ville.